'Litote'
Hélène A., qui a récemment découvert dentelles d'encre, nous fait l'honneur et le plaisir de partager avec nous l'un de ses poèmes, un poème où la vie et le textile se mêlent intimement:
Ma mère
hyperbole et mon père litote
vous avez
ensemble tissé l'étoffe dont je suis faite
chaîne ferme
et trame souple
tensions
contrariées
pour
l'équilibre du hamac
fils de soie
et chanvre rude
broderies
fragiles et coutures doubles
J'ai aussi
cousu mon vêtement
Je l'ai
déchiré et ravaudé
Je l'ai
embelli de broderies et d'initiales
de rubans et
de dentelles
J'ai renforcé
ses ourlets
Et je me suis
coiffée
Et puis j'ai
enlevé mon vêtement
comme une
chrysalide qu'on dépose
Et me suis
levée nue dans une autre sorte de robe
une robe
donnée de toute éternité
J'apprends à
me décoiffer
à enlever les
colifichets l'un après l'autre
à me laver au
bain lustral
à trouver la
beauté première
Il y avait
aussi des noeuds dans votre tissage
des boules où
je me suis cassée
Il le fallait
Je me serais
crue trop solide
J'aurais
commis des imprudences irréparables
Ma mère
hyperbole qui m'a surchargée
Mon père
litote qui m'a dépouillée
vous êtes
comme le sculpteur qui pétrit d'abord sa statue
qui ajoute ou
ôte de la glaise
qui modèle sa
forme indécise
Un jour je
serai de marbre ou de bronze
la forme
définitive
que la mort
laissera
Vous fûtes
mes premiers artisans
et je
poursuis votre oeuvre de mes mains, de mes outils
Une autre
main guide la mienne
l'enveloppe
et l'oriente
Je dois
desserrer les doigts
être bien
souple
Alors la
forme surgira
Ma mère
hyperbole et mon père litote
j'en fais
trop ou pas assez
mais le tissu
avance
comme un
tapis vers un autel
Hélène
Aribaut
Cambrils, 5 Août 1994
Merci, Hélène, pour cette contribution!