Le Pré maudit de Gathemo
"On connaît la fable de La Fontaine intitulée 'Les deux coqs'. Elle commence en ces termes :
'Deux cops vivaient en paix : une
poule survint,
Et voilà la guerre allumée.'
Eh bien ! il paraît qu'à Gathemo,
une légende
déplorable donnerait raison à cet apologue.
Deux frères, dit-elle, avaient
porté leurs hommages vers la même jeune fille, qui les avait accueillis l'un et l'autre sans aucune distinction.
Par coquetterie, sans doute, elle avait reçu leurs serments et y avait répondu
par des promesses.
Un jour, elle vint les trouver
dans la prairie où ils travaillaient ensemble. Ils étaient silencieux, fauchant
côte à côte les herbes déjà mûries par
les ardeurs du mois de juillet.
Jeanne, tout en les regardant
dévorer rapidement l'espace, filait sa quenouille et prenait place sur une
pierre taillée en forme de siège.
Tout à coup, l'un des deux lève
sa faux sur son frère, le frappe rudement de son instrument et l'étend mort à ses pieds.
Le fuseau s'échappe des mains de
la fileuse et le
peloton se déroule tout entier entre deux andains, avec une rectitude irréprochable de ligne.
Depuis ce jour, le côté de la prairie sur lequel travaillait l'assassin est
resté infertile, tandis que l'autre
produit toujours les plus belles récoltes de foin. D'une part, l'aridité la
plus complète; d'autre part, la fertilité la
plus luxuriante. L'épaisseur d'un fil forme la seule ligne de démarcation entre
ces deux extrêmes.
Le
pré maudit est fort connu. On
a fait quelques fouilles pour retrouver la pierre sur laquelle s'est
assise l'unique témoin de cet assassinat; elle s'est abîmée à une
profondeur immense, dont personne n'a pu sonder le terme.
Pour la jeune fille, cause
involontaire de cet événement malheureux, après avoir refusé la foi du
fratricide, elle entra dans un couvent."
Hippolyte Sauvage, 'Le Pré maudit de Gathemo'.
Merci, Jacqueline, pour cette contribution!