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dentelles d'encre / Ink Lace
15 janvier 2006

Kolyma

De l'exploitation de l'or dans les doigts des femmes par les régimes totalitaires, suite: 

"Maroussia était très habile aux travaux d'aiguille, elle brodait merveilleusement : toute sa famille vivait de ses broderies à Kyoto.
A Kolyma, les chefs découvrirent immédiatement son talent. Ils ne lui payèrent jamais ses broderies : ils lui apportaient un morceau de pain, ou deux morceaux de sucre, ou encore des cigarettes - toutefois Maroussia ne prit jamais l'habitude de fumer. Et ils recevaient en échange des broderies faites main d'une merveilleuse facture et qui valaient des centaines de roubles.
La directrice de la section sanitaire entendit parler du talent de la détenue Krioukova: elle la fit hospitaliser et depuis lors, Maroussia fit des broderies pour la doctoresse.
Et lorsqu'un télégramme téléphoné au sovkhose où travaillait Maroussia donna l'ordre d'envoyer toutes les ouvrières brodeuses par le prochain camion à ..., la directrice du camp cacha Maroussia : elle avait beaucoup d'ouvrage à lui donner. Mais quelqu'un envoya immédiatement une dénonciation écrite aux instances supérieures et il fallut faire partir Maroussia.
Elle s'étend et serpente sur deux mille kilomètres, la chaussée centrale de Kolyma [...].  Sur la chaussée, tous les quatre cents à cinq cents kilomètres, se dresse une 'maison de la direction', hôtel de luxe des plus somptueux mis à la disposition personnelle du directeur du Dalstroï, c'est-à-dire du gouverneur général de Kolyma.  Lui seul a le droit d'y passer la nuit au cours de ses déplacements sur le territoire qui lui est confié. Tapis précieux, bronzes et miroirs. Tableaux de maîtres. [...]

Mais le plus étonnant dans ces maisons, c'étaient les broderies. Rideaux de soie, stores d'étoffe et tentures étaient décorés de broderies faites main. Petits tapis, coussins, serviettes de toilette - le moindre chiffon devenait un objet précieux après être passé entre les mains des détenues brodeuses. [...]

On avait fait venir Macha Krioukova pour broder des rideaux, des coussins et tout ce qui pouvait être brodé. Il y avait aussi deux autres brodeuses, de même talent et inventivité.
La Russie est la pays des vérifications, le pays des contrôles. Le rêve de tout bon Russe, qu'il soit détenu ou travailleur libre, c'est qu'on lui donne quelque chose ou quelqu'un à contrôler. [...] Il y avait donc, au-dessus de Macha et de ses nouvelles amies, une femme membre du parti qui leur donnait tous les jours de l'étoffe et du fil. A la fin de la journée, elle ramassait le travail et vérifiait ce qui avait été fait. Cette femme ne travaillait pas, mais elle était inscrite dans les rôles de l'hôpital central comme surveillante du bloc opératoire.  [...]

Les brodeuses s'étaient depuis longtemps habituées à une telle surveillance. Et elles ne volaient pas, bien qu'il ne leur eût guère été difficile, en réalité, de duper cette femme. Elles avaient été toutes trois condamnées selon l'article 58."

Varlam Chalamov, Kolyma, ed. François Maspéro, Actes et mémoires du peuple - 1980.

Merci Marie-Hélène pour cette contribution!

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