Nuit de fête
Fasciante et lancinante description d'un sempiternel, et donc frustrant, effeuillage, où le textile, le masque, seuls, existent:
"L'inconnue se déshabillait.
D'abord, elle ôtait son voile. Or, sous les dentelles, en étaient d'autres.
Elle défit sa robe, mais, dessous,
apparut une autre robe exactement semblable. Elle ôta ses gants qui en
cachaient d'autres; [...] La mystérieuse se déshabillait sans
cesse. Mais elle demeurait toujours vêtue de la même façon, si elle
devenait de plus en plus mince. Les Yeux avaient de fascinatrices lueurs
phosphorescentes, et toujours elle gardait son exquisité de lignes.
Mais le pluriel des lignes devenait de plus en plus singulier.
Pierrot
se demandait si son rêve allait être insaisissable comme tout infini
bonheur. Enfin, elle rejeta le dernier pantalon de dentelle et surah,
ôta les derniers bas de soie noirs, les derniers petits souliers qui
avaient en croix des osselets microscopiques, écarta, en laissant choir
les derniers gants, une chemise qui s'ouvrit, par devant, du haut en
bas sur sa joliesse.
Quand elle fut toute nue, - les seins étaient du rêve, les bras étaient du songe, les jambes, les cuisses, la mousse brune (où son front voulait s'abattre à côté, vaincu par le plaisir, voluptueusement saturé du parfum de cette fleur de femme si souhaitée, nostalgique, il semblait, à jamais), ses jambes, ses hanches étaient immatérielles, ses seins étaient de rêve, ses bras étaient du songe, - quand elle fut toute nue,
il n'y avait plus rien."
Félicien Champsaur, Nuit de fête, vers 1889.
Ah, la littérature décadente...