Une Histoire familiale de la peur
A dix-neuf ans, la mère d'Agata Tuszynska, lui apprit qu'elle était juive, depuis, la romancière revient sur l'histoire douloureuse de la Pologne juive...
"Et ensuite Roman s'occupa de marché noir. [...] Son fils l'aidait parfois à vendre certains produits. Ou bien il allait avec sa mère chercher des coupons d'étoffe qu'elle rachetait à une amie à prix coûtant. Elle les coupait ensuite sur la table de la cuisine et y entortillait Roman pour dissimuler le plus de marchandise possible. Il portait d'amples manteaux et des sacs taillés dans de la bâche avec un double fond spécialement cousu. On parvenait plus ou moins à survivre.
[...] Elle était allée voir Bogdan au camp de scouts pendant les premières vacances de l'après-guere et elle avait éclaté en sanglots quand ils étaient partis ensemble en promenade. Elle avait pleuré devant lui bien qu'il n'eût que treize ans, elle avait pleuré en lui disant qu'elle ne s'entendait pas avec son père.
Il le savait. Il
avait eu soudain devant les yeux toutes ces soirées où elle l'avait attendu,
ajoutant de la dentelle aux serviettes et aux mouchoirs. Les mètres de cordonnet
croissaient sur ses genoux en une toile d'araignée multicolore, elle passait de
longues minutes à les entrelacer d'un geste mécanique, des quarts d'heure, des
heures. Elle ne disait rien, seule sa main droite s'agitait de plus en
plus vite, nouant boucle apèrs boucle."
Agata Tuszynska, Une Histoire familiale de la peur, Grasset, 2005.
Merci, Marie-Hélène pour cette première contribution de l'année 2007!