L'oeuvre posthume de Thomas Pilaster
Dans ce roman, un écrivain aigri par
son manque de succès édite et publie les oeuvres posthumes d'un
camarade d'enfance, écrivain lui uassi, mais écrivain à succès. Le
texte est donc émaillé de remarques vachardes quant à la médiocre
qualité du style du défunt Pilaster.
Dans la préface, où Chevillard
reprend le dispositif du manuscrit trouvé cher aux écrivains du 18e
siècle, il se remémore les débuts littéraires de Thomas Pilaster.
"Frêle enfant très emmitouflé, c'est le plus ancien souvenir que je garde de lui, le premier fantôme que je ressucite, bon élève cafard peu sportif, visage blanc vite rouge, au nez trop fort entraînant toute la tête ainsi plombée et mal assurée sur son cou de fillette vers le bas, regard en dessous donc, et strabique, l'oeil droit pleurant dans l'oeil gauche, l'oeil gauche lorgnant à l'abri de l'oreille. C'était un farouche petit blotti entre ses épaules frissonnantes comme des ailes plumées, un pauvre poulet à vif, il ployait en toute saison sous le poids d'une écharpe de laine grise qui semblait s'allonger toujours pour mieux l'enserrer dans ses anneaux multipliés, et s'allongeait peut-être en effet à force d'être prise pour une ficelle de toupie par nos camarades, lesquels s'en faisaient un jeu et n'imaginaient pas Pilaster autrement que tournoyant ainsi au milieu d'eux, et sanglotant, qui finalement s'écroulait, étourdi, ramenait à lui l'écharpe avant même de se relever, s'y enroulait, ses clavicules aussi fines et pointues qu'aiguilles à tricoter s'entrechoquant bel et bien sous la laine avec ce léger cliquetis, en sorte que son écharpe, je crois pouvoir l'affirmer sans attendre qu'un biographe américain ne l'extirpe de quelque malle pour y prélever les grains de pollen ou de poussière qui lui permettront de retracer jour après jour l'itinéraire de Pilaster entre sa treizième et sa dix-septième année, finit par atteindre une longuer de trois mètres au moins."
Eric Chevillard, L'Oeuvre posthume de Thomas Pilaster, Editions de Minuit, 1999.
Quel est le plus boa constrictor, le jeu cruel de la toupie inventé par les camarades de Pilaster, son écharpe qui le dévore, ou la phrase de son biographe improvisé?