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dentelles d'encre / Ink Lace
26 août 2006

Barthes et le tricot

Jacqueline nous propose cette lecture précieuse d'un homme qui parle littérature, dentelle et tricot comme personne, d'un tricot structuraliste, dénoté à l'endroit , connoté à l'envers...
Il s'agit d'une interview de Roland Barthes sur la paresse accordée à Christne Eff, journal Le Monde 16-17 septembre 1979, notre grand homme se demande à l'instar de Flaubert: "A quoi voulez-vous que je me repose" ?

" Je n'ai jamais beaucoup aimé le sport, et maintenant, de toutes manières, j'en aurais passé l'âge. Alors que voulez-vous que quelqu'un comme moi fasse s'il décide de ne rien faire?
Lire ? Mais c'est mon travail. Ecrire? Encore plus. C'est pour cela que j'aimais bien la peinture. C'est une activité absolument gratuite, corporelle, esthétique, malgré tout et en même temps un vrai repos, une vraie paresse parce que n'étant rien de plus qu'un amateur je n'y investissais aucune espèce de narcissisme. Cela m'était égal de faire bien ou mal.
Quoi d'autre ? Rousseau en Suisse, vers la fin de sa vie, faisait de la dentelle.
On pourrait sans trop d'ironie poser le problème du tricot. Tricoter c'est le geste même d'une certaine paressse, sauf si l'on est rattrapé par le désir de finir l'ouvrage.
Mais les conventions interdisent aux hommes de tricoter. Cela n'a pas toujours été. Il y a cent cinquante ans, cent ans peut-être, les hommes faisaient couramment de la tapisserie. Maintenant ce n'est plus possible.
Le tricot, voilà l'exemple d'une activité manuelle, minimale, gratuite, sans finalité, mais qui représente tout de même une belle paresse, une paresse bien réussie...."

Jacqueline de commenter, non sans une pointe d'ironie: "Bon c'est ce qui arrive quand on parle de sujets qu'on connaît mal... il doit confondre un peu tout : tricot, canevas et vraie tapisserie... Dommage qu'il soit mort avant la vogue des loisirs créatifs..."
Evidemment, je suis d'accord pour me moquer de quelqu'un qui pense qu'on tricote sans vraiment avoir envie de terminer l'ouvrage (ne serait-ce que pour en commencer un autre sans trop culpabiliser!!!), simplement pour tuer le temps à la pointe de nos aiguilles et qui n'a l'air de n'avoir jamais tricoté (ou vu tricoter) qu'une écharpe au point mousse - et en même temps, ma folle passion pour le tissage en ce moment, c'est exactement ça - le plaisir d'une temporalité autre qui n'est pas celle de la productivité, ni de la rentabilité - car faire soi-même un collier, ça n'est pas à proprement parler "rentable", un peu comme uns éance de yoga, une activité dans laquelle ne mettre aucun narcissisme, du pur plaisir... Et ce serait désormais interdit aux hommes? Je n'y crois pas trop...

Merci Jacqueline pour cette contribution qui vient nourrir le débat sur la guerre des sexes et la dentelle, un éclairage qui change de celui du divin marquis!

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Commentaires
U
Jacqueline, tes remarques sont très justes, notamment sur le côté bourgeois des hippies et de 100 idées. J'en relisais récemment à la bibliothèque Forney et m'amusais des courriers des lecteurs très virulents qui accusaient le magazine d'avoir viré commercial dès le numéro 10 ou 11!<br /> Mais je m'arrête là. Sur 100 idées et MCI, il y aurait de quoi écrire une thèse. Sur les idéaux hippy, leurs motivations et leur (non-)aboutissement, il y a de quoi en écrire plusieurs. ;-)
J
Je découvre avec mon esprit de l'escalier qu'il y avait des réponses... J'avoue que j'avais mis un peu de provocation dans le mot "loisirs créatifs"...Pour moi qui suis née dans les fifties, et dans un milieu très pauvre -je ne dis pas ça par affectation mais parce que c'est vrai- ce n'était pas un mode de vie venu de la vague hippie ou du new age, pas une tendance de la mode, mais une absolue nécessité. On faisait ses robes parce que c'était le seul moyen d'être vêtue à son goût sans se ruiner et pas toujours avec du tissu neuf, pas souvent en ce qui me concernait. Je me souviens qu'il existait des pages sur la "customisation" dans la plupart des magazines féminins style Femmes d'Aujourd'hui ou l'écho de la mode, c'était moins pour personnaliser que pour remettre au goût du jour des vêtements dits démodés. J'ai été abonnée à cent idées et j'ai beaucoup apprécié, je relis parfois les numéros que j'ai gardés ...mais je le vois parfois (à tort sans doute et excusez-moi si cette assertion choque, ce n'est pas le but c'est juste un ressenti personnel !) comme le début de la vogue "bobo..."Et si vous regardez les fournitures nécessaires à la confection des modèles et objets ... c'est souvent de la marque, des marques de luxe -je pense à la marque de laine recommandée pour les pulls-... beaucoup de peintures , de matériel à acheter chez un fournisseur bien connu c'est pas vraiment "avec les moyens du bord" même si c'est une publication dont je regrette la disparition.<br /> Quant à la pollution,vieux problème, les teinturiers et les tanneurs de l'Antiquité avaient déjà des maladies professionnelles dues aux substances utilisées et il y a très tôt des doléances du voisinage...une coloration naturelle peut être polluante, la toxicité n'est pas que dans les produits de synthèse... <br /> Mais où nous mène ce bon Barthes ???
L
Intéressant ce débat - qui prouve en tout cas qu'en dépit de la volonté diffuse de maintenir nos activités textiles dans le cadre bien formaté du loisir et du magazine féminin, ça bouillonne dans nos cerveaux et que nous réfléchissons (un peu) à nos pratiques! Ils n'auront pas la peau de l'artisanat!
U
Faute de temps, je n'ai pas répondu à Jacqueline avant, mais j'allais répondre grosso modo la même chose que le clown navet: la prolifération actuelle de revues et de salons me semble être liée plus à une commercialisation, une mercantilisation des "loisirs créatifs" (en effet, il y aurait beaucoup à dire aussi sur le choix de cette expression, habilement conçue et pourtant frustrante par son escamotage de la filiation avec l'artisanat).<br /> De plus, je ne crois pas que la vogue actuelle soit une continuation de celle des années 1970, tellement différente sur bien des points. C'est plutôt un retour cyclique. Rien de nouveau sous le soleil: le tricot par exemple a déjà connu ces alternances de ringardisation/mode dans les années 1910/1920.<br /> J'étais enfant dans les années 1970, j'ai donc vécu ça indirectement, mais il est clair qu'alors il ne s'agissait pas de se distraire avec un "hobby" mais de réinventer un style de vie. Il y avait une dimension philosophique, écologique, politique, qui manque aujourd'hui. Certaines activités étaient très connotées "retour à la terre": tissage, poterie...<br /> Il suffit de comparer un "100 idées" (mensuel!) de l'époque avec un "Marie Claire Idées" (trimestriel et bien maigrichon en comparaison: est-ce là un indice de bonne santé?) pour prendre mesure de la différence d'états d'esprit. Personnellement, je préfère l'esprit de partage chaleureux du premier au côté "je bichonne mon chez-moi" du second, mais tous deux ne font que refléter une époque.
A
Je relis, c'et bourré de fautes de frappe, mais de toutes façons, il y aurait davantage à dire bien sûr sur ces années qui en font rêver de plus jeunes; ma fille Anaïs a été plongée dans 100 idées pendant de nombreuses années. Pour méditer sur ce mode de vie, pas pour coudre ce qu'elle trouvait ringuard, mais qui lui a donné envie de se servir d'une aiguille!!!
dentelles d'encre / Ink Lace
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