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dentelles d'encre / Ink Lace
27 février 2006

Le Crève-Cévenne 3

Où l'on apprend qu'il est bien difficile d'abandonner la culture du vers à soie, pour le petit crépitement qu'il produit lorsqu'il mange, parce qu'il est merveilleux de dérouler l'unique fil de soie qui constitue le cocon, mais surtout arce que c'est l'occasion de décoconner entre voisins!

"
- les gens s’obstinent à faire quelques cocons : dix, quinze, vingt comme ça pour faire voir aux enfants soi-disant. En fait je crois que c’est surtout parce que ça leur fait plaisir : ils les ont toujours fait et il faut toujours en faire.

Il évoque avec chaleur le temps où ça donnait à fond.

- Pour cueillir les cocons et les emballer dans des draps bien propres, on se groupait dans la cour du mas parce que les magnaneries étaient trop petites et bien trop encombrées. Tout le monde travaillait là ensemble, les voisins, les parents venaient prêter main-forte. On allait décoconner les uns chez les autres. Ca faisait un bruit soyeux, très agréable. Puis on hissait les ballots sur les charrettes pour les emporter à la filature et même en certains endroits, on décorait les véhicules avec les rameaux dont on avait pas enlevé les cocons. Toute une fête! C’était le symbole de l’argent frais pour la ferme qui vivait en cercle fermé, en autarcie complète. On pouvait faire un festin familial. Tuer cochon et décoconner, c’étaient les deux fêtes de l’année.

Daniel m’explique qu’un cocon ce n’est rien d’autre qu’un seul fil de soie de trois cents à quinze cents mètres de long, un fil continu.

- Si on tarde à étouffer les cocons, le papillon sort, il perce, tranchant le fil en beaucoup d’endroits. On a plus que des petits bouts, c’est fichu, fichu pour la filature parce que le paysan, lui, récupérait ces déchets, sa femme filait cela comme de la laine, au rouet ou au fuseau et cela donnait la filoselle ce tissu rude, bien bon pour les gens d’ici. Les nôtres n’avaient droit qu’à ce tissu de récupération, la belle soie, elle partait ailleurs pour les riches.

- Le ver à soie a marqué la Cévenne dans sa profondeur, jusque dans son langage, dans ses dictons : il y avait des cocons gâchés, ceux qui étaient doubles, deux dans un cocon, ceux qui ne s’enfermaient pas mais tissaient une toile comme les araignées – tout cela s’utilisait pour la filoselle. Le cocon se nomme fourel ou fusel suivant la région. Certains vers malades montaient sur la bruyère sans faire de cocons. Ils faisaient donc un blazas c’est à dire rien du tout. Alors, de quelqu’un dont on ne sait pas trop ce qu’il va devenir ; d’un beau cancre par exemple, on dit aquel fourel fara un blazas  ! […]

- Les vers à soie c’est bien fini depuis une dizaine d’années à St Jean du Gard et pourtant chaque année, dans chaque famille s’élèvent quelques magnans. Ma mère continue. Quand nous étions petits, mon frère et moi c’était pour nous montrer… Maintenant c’est pour son plaisir. Elle passe des heures à les regarder, à les écouter parce que ça fait un bruit merveilleux toutes ces bestioles qui rongent la feuille, un bruit… On dirait la pluie qui tombe sur des tôles. Rien que pour les voir, pour les entendre, ma mère fait partie de ces gens qui font chaque année six ou sept vers à soie."

Entretien avec Daniel Travier, Jean-Pierre Chabrol, Le Crève-Cévenne, Plon.

Merci Marie pour cettre contribution!

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