La Fileuse
Assise, la fileuse au bleu de la croisée
Où
le jardin mélodieux se dodeline;
Le rouet ancien qui ronfle l'a
grisée.
Lasse, ayant bu l'azur, de filer la câline
Chevelure, à ses
doigts si faibles évasives,
Elle songe, et sa tête petite
s'incline.
Un arbuste et l'air pur font une source vive
Qui, suspendue
au jour, délicieuse arrose
De ses pertes de fleurs le jardin de
l'oisive.
Une tige, où le vent vagabond se repose,
Courbe le salut
vain de sa grâce étoilée,
Dédiant magnifique, au vieux rouet, sa
rose.
Mais la dormeuse file une laine isolée;
Mystérieusement l'ombre
frêle se tresse
Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée.
Le
songe se dévide avec une paresse
Angélique, et sans cesse, au doux fuseau
crédule,
La chevelure ondule au gré de la caresse...
Derrière tant de
fleurs, l'azur se dissimule,
Fileuse de feuillage et de lumière ceinte
:
Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle.
Ta soeur, la
grande rose où sourit une sainte,
Parfume ton front vague au vent de son
haleine
Innocente, et tu crois languir... Tu es éteinte
Au bleu de la
croisée où tu filais la laine.
Paul Valéry, Album
de vers anciens, 1920
Merci, Jacqueline, pour cette contribution!