Geneviève de Gaulle-Anthonioz - encore
"En effet, une détenue âgée exécute les ordres. Elle porte le triangle violet des Témoins de Jéhovah et un numéro qui la signale comme une des premières immatriculées dans le camp. [...]
Un dimanche après-midi, la détenue âgée qui fait le service ouvre la porte de ma cellule et allume une lumière. A mi-voix, elle m'explique qu'il y a une fête chez les SS, qu'ils ont beaucoup bu et qu'elle me propose, pour m'occuper, de réparer ses chaussettes. J'accepte avec plaisir et elle me remet de la laine, un aiguille et des ciseaux. Les trous sont d'une bonne taille et je remercie les religieuses qui m'ont appris en pension à repriser et même à remailler à l'aiguille. Quand le témoin de Jéhovah vient reprendre son bien, elle pousse de petits cris d'admiration... Si je veux elle me rapportera du travail. Souvent, par la suite, elle me laisse plusieurs heures les ciseaux et les aiguilles. Je puis ainsi réparer mes habits et découper les marges de papier blanc. L'idée me vient de broder pour Anna (elle m'a dit s'appeler ainsi) un petit mouchoir que je lui donnerai comme cadeau de Noël. [...]
J'ai terminé mon mouchoir pour Anna et j'ai brodé dans un
angle son matricule. Demain matin, je le lui glisserai dans la
main quand elle me passera le café par le guichet. Ainsi
aurai-je au moins pu faire un cadeau, échanger un sourire avec
un être humain. [...]"
Anna lui apporte à son tour un présent:
"Oh
merveille... il y a une petite branche de sapin, puis un chant français
de Noël, quatre biscuits en forme d'étoile, une pomme rouge et
brillante, un minuscule morceau de lard, deux sucres. Et puis une
poupée, une marquise avec une jupe rose et un fichu de dentelle, des
cheveux blancs bouclés. Sous les jupons un J et un A sont brodés:
Jacqueline d'Alincourt, bien sûr c'est ma soeur de captivité qui
m'envoie ce cadeau. Et le chant de Noël Entre le boeuf et l'âne gris,
c'est Anicka aidée par Vlasta. Leur amitié a réalisé ce prodige de
m'atteindre dans ma solitude et mon désespoir. Enfin, tout au fond du
carton, est pliée une sorte d'étole beige en laine légère dont je
m'entoure aussitôt comme de leur douce et chaude tendresse."
La Traversée de la nuit, Editions du Seuil, 1998
Autre extrait des mémoires de Geneviève de Gaulle-Anthonioz qui nous permet de terminer notre lecture ciblée sur une note moins sombre...